Interview de Christian Jacq dans « Le Matin »

Actualité
09 Fév 2018

Découvrez l’interview de Christian Jacq par Laurent Flückiger, parue dans le quotidien « Le Matin » le 27 janvier 2018 :

« Il était temps d’écrire sur mon pays »

Alors que le soleil brille à Vevey, nous entrons dans l’Hôtel des Trois-Couronnes, qui borde les rives. « Monsieur Jacq ? Juste ici », nous dit le concierge en désignant un homme en veston noir assis à la première table du bar, une bière pression devant lui. Habitant Blonay (VD) depuis une vingtaine d’années, l’auteur aux 27 millions de livres vendus est un habitué. « C’est mon fief médiatique », dit-il en nous invitant à nous asseoir. Cette fois, l’établissement est même décrit dans son dernier ouvrage, « Crime sur le lac Léman ».

En effet, si Christian Jacq, 70 ans, est célèbre dans le monde pour ses multiples parutions sur l’Égypte ancienne, il écrit aussi des romans policiers. Et la 27e enquête de son héros, Higgins – « mon meilleur ami », – emmène pour la première fois le lecteur dans la région de Montreux, au cœur de la Cité, à Lausanne, et même dans la campagne fribourgeoise. Le cadavre d’un nonagénaire milliardaire, ex-agent secret anglais, est retrouvé sur l’unique île du lac Léman, l’île de Peilz. Un industriel, une œnologue-horlogère, un sculpteur et même un moine font partie des suspects. Dans l’impasse, le commissaire Delalpage (!) fait appel à sa vieille connaissance, l’ex-inspecteur-chef Higgins.

La qualité des vins suisses
« Il était temps qu’il vienne dans mon pays », lance Christian Jacq, né à Paris et naturalisé Suisse en 2016, comme son épouse. L’auteur adore sa nouvelle patrie, son côté « délicieux », décrit-il, où la politesse existe encore. « Ici, tout le monde sait qui je suis, mais c’est tout simple. » Comment en est-il arrivé à imaginer un crime sur ce bout de terre au large de Villeneuve ? « Je faisais une étude sur les arbres suisses et je suis tombé sur ce platane qui occupe presque entièrement l’île de Peilz. J’ai appris qu’il avait été offert à la reine Victoria, mais celle-ci, pingre comme pas possible, l’a rendu à la Suisse, rigole Christian Jacq. C’est une histoire merveilleuse ! Je me suis dit voilà un lien avec les Anglais qui me permet de faire entrer en jeu Higgins. » Dans son « roman à énigmes », comme il aime appeler ses enquêtes qui se distinguent des polars noirs à la mode, tout le patrimoine suisse y passe: les montagnes, les fromages, les montres et même la lutte. Un peu cliché ? « Il y a le côté folklore, mais je parle aussi des vins suisses, qui sont méconnus », se défend-il. Ah ça oui ! En 214 pages, ils en boivent des bouteilles, Delalpage et Higgins ! Et même en  service ! Du heida, du chasselas, du merlot, du fendant, du sauvignon blanc… Christian Jacq précise même les noms de domaine et ceux des vignerons-encaveurs. Un vrai guide. Il rit : « Le vin, c’est la vie. Le premier témoignage archéologique de l’Égypte ancienne est une jarre de vin millésimé. C’est quand même extraordinaire ! Dans la tradition chrétienne, le Christ est le pain et le vin, ça vient d’Osiris qui est au pressoir. Le vin, c’est la vie ressuscitée, la vie lumineuse. Alors, vous comprenez qu’il faut lui faire honneur. Delalpage et Higgins goûtent, on ne sait pas s’ils finissent les bouteilles. » Il se marre et reprend : « Un grand œnologue m’a dit : « Il ne faut jamais boire de vin quand on a soif. Mais de l’eau. Éventuellement une petite bière… Ça se déguste. Le travail de vigneron est incroyable, c’est de l’alchimie. » On lui demande si à travers son livre, il ne chercherait pas à convaincre les lecteurs français de la qualité des rouges et des blancs suisses. « Je suis un militant, confirme-t-il. Vous connaissez la supériorité des Français… »

« Mozart, l’un de mes dieux »
Dans « Crime sur le lac Léman », la victime s’appelle Mortimer Blake. Un hommage à Edgar P. Jacobs. « J’ai découvert « Le mystère de la Grande Pyramide » à 11 ans. Et je ne l’ai jamais oublié. Je le relis tous les deux, trois ans. Du point de vue égyptologique, c’est remarquable. C’était un type fabuleux et je ne retrouve pas ça avec ceux qui ont repris son oeuvre. Faut-il laisser quelqu’un continuer après sa mort ? Agatha Christie, par exemple, n’a pas voulu. Je pense que ça serait mieux que personne ne reprenne mon héros Higgins. Parce qu’il y a une patte, une façon de voir le monde. Je ne sais pas si c’est possible de la reproduire. Je dis ça sans vanité. On a une trajectoire unique et à un moment donné c’est fini. »

Que voudrait-il qu’on retienne de lui après sa mort ? « La notion d’oeuvre, répond-il. Je tiens un petit carnet dans lequel je note mes publications. Je fais référence à l’un de mes dieux, Mozart, qui avait inscrit tout ce qu’il a composé. Je me suis aperçu que j’en ai écrit 270 en comptant aussi les articles scientifiques et les thèses. Donc oeuvre, il y a, il me semble. (Rires.) Est-ce qu’elle existera longtemps ? Je ne sais pas. Mon idée est d’avoir créé des personnages, un univers. J’y ai mis tout mon cœur, j’ai essayé de ne pas parler de moi mais de valeurs. Et j’espère que c’est quelque chose qui restera. »

On lui fait remarquer que l’adaptation à l’écran est une façon de durer. D’ailleurs, les enquêtes de l’inspecteur Higgins feraient un très bon feuilleton. Pourtant, Christian Jacq dit ne pas avoir encore reçu de proposition. « Je ne suis pas à la mode, explique-t-il. Mais ça peut arriver. Mon éditeur y travaille. Moi, j’aimerais bien être adapté. Mais il faut trouver l’acteur. Je verrais bien Rowan Atkinson. D’ailleurs, je vais lui envoyer mes livres. »

Déjà un nouveau livre en avril
Attendra-t-il le suivant ? Une 28e enquête est prévue pour avril déjà. En tout, six ouvrages sortiront cette année. Comment fait-il ? « Je travaille entre dix et douze heures par jour. J’écris lentement mais tout le temps. Pour un Higgins, ça doit être fait en un flux continu. La vie d’écrivain n’est pas toujours drôle pour les épouses, il faut le reconnaître. Et je fais tout à la main, première écriture, deuxième avec toutes mes corrections. Ensuite, je fais taper le livre. Puis je le relis, non plus en tant qu’auteur mais lecteur, et je refais des corrections. L’éditeur entre en jeu puis nous arrivons au « produit final ». Entre guillemets, car pour moi un livre est comme une oeuvre d’art. »

« Comédien, assassin ? », qui sortira en avril, est déjà terminé. Les suivants, en juin et en septembre aussi. « Je trouve mes idées dans mon bain en lisant le journal, confie-t-il. J’en ai une cinquantaine pour Higgins. Je sais que je n’arriverai pas au bout, je suis trop vieux maintenant. Je ne redoute pas la mort. Je crois que le jour où elle arrive, je dirais comme Mozart : c’est bête, j’avais encore tellement de choses à faire. »

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